Introduction

Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, nos régions étaient presque exclusivement agricoles.  De petites manufactures, quelques modestes fabriques et un certain nombre d’ateliers artisanaux occupaient tout au plus quelques dizaines d’ouvriers dans nos campagnes.  Le reste de la main d’œuvre ouvrière était composée de quelques maîtres artisans et de leurs manœuvres, mais surtout des innombrables « manouvriers » agricoles qui louaient leur travail auprès des gros fermiers. 

Le XIXe siècle verra la mécanisation de l’agriculture, mais aussi le développement de l’industrialisation, amorcée chez nous dès le siècle précédent.  Tubize deviendra rapidement un centre industriel secondaire, le plus important cependant dans la région. 

A priori pourtant, rien ne l’y prédestinait.  La localité, éloignée des zones de production des matières premières – sauf peut-être pour la pierre -, distante également des centres d’écoulement des produits manufacturés ou industriels, avait en effet joui, très tôt, de facteurs favorables à son développement industriel. 

I. Les facteurs favorables

  • Situation géographique, densité du réseau hydrographique et voies de communication

Au premier rang des facteurs favorables, il y a le réseau de communication.  Sans de bonnes voies de communication, le développement industriel d’un pays ou d’une région est impossible. 

Tubize est situé pratiquement à mi-chemin entre l’axe industriel Haine-Sambre et Bruxelles.  La localité est établie au point de convergence d’une série de très anciennes voies de communication venant du Sud, traversant la Senne à l’endroit le plus propice – c’est-à-dire au pont de Tubize – et se redéployant ensuite vers le Nord, notamment en direction de Bruxelles. 

Depuis le début du XVIIIe siècle, une chaussée pavée mène directement de Valenciennes-Mons à Bruxelles et permet, au-delà, les communications avec le Nord du pays et, en particulier, l’accès à la mer par le port d’Anvers.  Cette chaussée est donc, sans conteste, une première artère vitale qui rendra possible un développement précoce. 

Un autre facteur favorable est l’existence d’un réseau hydrographique dense et la présence de nombreux moulins à eau.  Aux débuts de l’industrialisation de nos régions, la force motrice la plus importante demeure l’énergie hydraulique.  Ici, l’infrastructure était particulièrement dense dès XVIIIe siècle et offrait encore de grosses possibilités de développement au début du XIXe siècle.  Avant la généralisation de la machine à vapeur, cela sera déterminant pour l’établissement des premières industries. 

  • Etat de l’industrie à la fin de l’Ancien Régime

A la fin du XVIIIe siècle, c’est à l’Ouest de ce qui deviendra par la suite la Province du Brabant wallon que l’on trouve les agglomérations villageoises les plus peuplées et que les « manufactures » ou les « fabriques », comme l’on disait à l’époque, étaient les plus nombreuses. 

Les Mémoires, qui accompagnent la célèbre Carte de Cabinet levée par le comte de Ferraris, insistent surtout sur la présence de nombreuses carrières de pierre, notamment au Sud du village de Quenast. 

Une étude sur les « grandes fabriques » vers le milieu du XVIIIe siècle (1764), relève la présence d’une centaine de personnes travaillant dans l’industrie lainière à Braine-l’Alleud.  Les autres fabriques importantes les plus proches étaient situées à Bruxelles, déjà dans la région de Charleroi, voire même dans une certaine mesure à Nivelles. 

S’il n’y a pas encore de grandes fabriques à Tubize ou dans ses environs immédiats, de petites manufactures apparaissent dans les statistiques industrielles de l’époque.  Sans compter les moulins, ce sont surtout les brasseries, distilleries et carrières de pierre qui y sont mentionnées. 

  •  Naissance des Forges de Clabecq

Les forges et même les hauts-fourneaux sont des usines que l’on rencontrait dans notre pays depuis des siècles.  Elles se concentraient toutefois dans les régions forestières du Sud du Pays (besoins en charbon de bois), aux bord des rivières (besoins en énergie hydraulique), et de préférence non loin des gisements de minerais.  Au XVIIIe siècle, avec le développement des mines de charbons, on les retrouve également dans le sillon Sambre-et-Meuse. 

Pour paraphraser l’ouvrage de Jean-Louis Van Belle, c’est le 8 novembre 1781 que naissaient les Forges de Clabecq.  Otton de Flodorp, seigneur du lieu, autorisait ce jour là l’érection d’un moulin à battre le fer, couplé à son moulin à eau de Clabecq.  A première vue, cette décision peut sembler étrange.  Clabecq est éloigné de tout approvisionnement en charbon et en minerais.  Houille et lingots de fonte devaient être véhiculés sur des kilomètres pour être transformés par la petite usine de Clabecq.  Sans la présence de la chaussée pavée, cela aurait été impossible. 

  • Le développement des moyens de communication dans la première moitié du XIXe siècle

Le nombre de chemins de terre que l’on empierra ou que l’on pava au XIXe siècle, améliorant ainsi les transports dans tout le pays, ne se compte plus.  Mais bien plus que les chaussées, de plus en plus nombreuses, la grande nouveauté pour notre région ce sera tout d’abord le Canal Bruxelles-Charleroi, commencé en 1827 et enfin inauguré en 1832, et très vite après le chemin de fer avec la mise en service de la gare de Tubize sur la ligne venant de Bruxelles dès 1840. 

Ce sont là deux événements majeurs qui, en plus des facteurs favorables hérités du passé, expliquent, peut-être contre toute attente, le prodigieux développement industriel de Tubize et sa région au cours du XIXe siècle. 

II. Avant la Grande Guerre : l’essor

La route, le canal, le chemin de fer, la proximité immédiate de Bruxelles et de ses débouchés, vont favoriser le développement des Forges de Clabecq, mais aussi l’apparition d’autres industries. 

Les industries extractives étaient déjà présentes sous l’Ancien Régime.  Au XIXe siècle, la région est parsemée de carrières de pierres à bâtir ou à paver, de sablières, de carrières d’argile à briques ou à tuiles.  Une pierre locale, l’Arkose, connaîtra un franc succès, mais c’est surtout le Porphyre qui sera exploité industriellement.  Joseph Zaman, homme d’affaire bruxellois, rachète et réunit de 1844 à 1851 diverses petites carrières à Quenast.  En 1890, la « Société Anonyme des carrières de Porphyre de Quenast » occupait 2000 ouvriers.  Elle en comptera près de 3500 à la veille de la Grande Guerre. 

Dès 1840, une Briqueterie et Tuilerie mécanique s’installe en face de la gare de Tubize, à même la couche d’argile qu’elle exploitera pendant plus d’un siècle.  Ainsi naissent ce qui deviendra plus tard les Etablissement Léon Champagne. 

Très vite aussi, les filatures industrielles, comme la Filature de coton Dehase fondée en 1855, s’installent à Tubize.  La filature Dehase, dont les remarquables bâtiments sont aujourd’hui les derniers vestiges de ce glorieux passé industriel, employa jusqu’à 150 ouvriers au tournant du siècle.  Dans ce secteur d’activité, le cas de la vallée du Hain est intéressant.  Le travail du coton y est d’abord caractérisé par le travail à domicile.  Ainsi, vers 1860, il y avait à Braine-l’Alleud environ 1100 tisserands à la main sur une population de près de 7000 habitants.  L’essor des machines à tisser mécaniques, devenues compétitives dans les années 1880, a concurrencé le travail manuel et concentré la production au sein de quelques entreprises : filatures de laine Allard-Minne ou de coton Jacobs, van Ham, Filature gantoise, etc. 

A l’extrême fin du XIXe siècle, le site du moulin à eau de Tubize est choisi pour l’établissement de la première Fabrique de Soie artificielle du pays.  Cette usine (Fabrique de Soie artificielle de Tubize), connue par la suite sous la dénomination Fabelta-Tubize employait déjà plus de 4500 travailleurs après 25 ans d’existence.  Ce nombre ne fera que diminuer par la suite. 

Dans un autre secteur, pour acheminer ses pavés jusqu’au quai d’embarquement de Clabecq, Joseph Zaman installa un chemin de fer privé depuis Quenast.  Il créa dans la foulée un atelier de réparation pour le matériel roulant des carrières, situé à Tubize.  C’est la naissance des Ateliers Métallurgiques de Tubize.  Agrandi et modernisé dès 1853, ces Ateliers vont se lancer dans la production de matériel ferroviaire.  En 1861 une première locomotive à vapeur sort de l’usine.  Des centaines d’autres suivront et s’exporteront sur tous les continents.  L’usine comptera jusqu’à 550 travailleurs. 

Les exemples du développement industriel de la région sont nombreux.  Impossible ici de les évoquer tous.  Il faudrait encore parler de la papeterie-cartonnerie apparue à Oisquercq dès les années 1820, des Verreries de Fauquez, fondées au début du XXe siècle dans les locaux d’une ancienne papeteries et qui comptera jusqu’à 1250 ouvriers, mais aussi des multiples petites fonderies et autres ateliers mécaniques qui ont fleuri un peu partout. 

Avant la Grande Guerre, le paysage de l’Ouest du Brabant wallon est véritablement marqué par l’industrialisation.  Les entreprises s’égrainent le long du canal Bruxelles-Charleroi.  Les Carrières de Quenast, les Forges de Clabecq, les Ateliers Métallurgiques de Tubize, la Fabrique de Soie Artificelle de Tubize, les Filatures drainent une main d’œuvre nombreuse et exercent une pression démographique importante qui provoque de nouvelles concentrations de population.  Tubize s’urbanise fortement.  Des quartiers entiers se développent, parfois à l’initiative des industriels eux-mêmes.  C’est le cas avec la cité de Forges, la cité de la Soierie, et de bien d’autres encore.  C’est aussi le cas à Ittre avec les habitations ouvrières de Fauquez, à Quenast avec les habitations des carrières bâties en porphyre, et partout ailleurs où il est indispensable de loger une main d’œuvre importante.  L’accroissement démographique de Tubize entre 1830 et 1960 est sans précédent et dénote parfaitement cette période d’essor due à l’industrialisation. 

III. Le déclin du XXe siècle

La Première guerre mondiale et la crise des années 30 sonnent le glas de l’essor industriel local.  Si certaines entreprises parviendront malgré tout à se maintenir encore quelques décennies, la région n’est pas épargnées par les crises conjoncturelles.  Les filatures et les ateliers de tissages ne se remettront pas de la crise économique des années 30.  La Seconde Guerre Mondiale sera fatale à l’industrie textile dans la vallée du Hain.  Les Ateliers Métallurgiques de Tubize ne digèreront jamais le passage de la vapeur au diezel.  Repris en 1950 par « La Brugeoise & Nivelles » ils fermeront leurs portes en 1958 lors du transfert des activités à Nivelles.  Les Briqueteries et Tuileries du Brabant fermeront leurs porte en 1968.  Fauquez disparaît en 1971.  En 1980 c’est la fin des usines Fabelta.  Cette entreprise, à la pointe de la technologie de l’époque et dont l’expansion avait été si rapide, qui avait essaimé aux USA, en France et en Hongrie n’atteignit jamais le siècle d’existence. 

A chaque fermeture d’une de ces grandes usines, c’est une multitude de petites entreprises qui sombrent avec elles.  Seules les Forges de Clabecq semblaient tenir le cap.  Ce n’était tout au plus qu’un sursaut.  Ce déclin ne fut évidemment pas sans conséquences : sociales bien entendu, mais aussi urbanistiques.

L’apport de main-d’œuvre massive avait poussé les grosses entreprises à construire des habitations pour leurs travailleurs.  Le déclin de l’industrie lourde et les drames sociaux qui en résultèrent provoquèrent une second bouleversement urbanistique avec le développement des logements sociaux dans les années 70.  Avec de gigantesques cités sociales comme celle des Bruyères (518 appartements) de nouveaux problèmes sont apparus : exclusion sociale, décrochage scolaire, délinquance, …  Il y a encore peu, la région ne comptait plus ses friches industrielles, véritables chancres qui ont largement contribué à l’image de marque négative qui a collé à la région ces dernières décennies. 

La reconversion est toutefois amorcée.  Une nouvelle transformation du paysage est en cours et devrait s’accélérer dans les années qui viennent. 

Bibliographie thématique et commentée :

Les ouvrages précédés d’une astérisques sont consultables au Centre de Documentation du Musée « de la Porte », accessible au public pendant les heures d’ouvertures du Musée. 

Sur le caractère rural de nos régions, on trouvera d’innombrables renseignements et de bonnes introductions historiques dans le volume *Architecture rurale de Wallonie, Pays de Soignies et de Nivelles, Liège, 1992.

Sur les débuts de l’industrialisation dans notre région et en particulier sur les manufactures du XVIIIe siècle, on pourra consulter avec profit l’ouvrage fondamental de Philippe MOUREAUX, La statistique industrielle dans les Pays-Bas autrichiens à l’époque de Marie-Thérèse.  Documents et cartes, 2 vol., Bruxelles, 1974 et 1981. Sans oublier l’ouvrage d’Armand JULIN, Les grandes fabriques en Belgique vers le milieu du XVIIIe siècle (1764).  Contribution à la statistique ancienne de la Belgique, dans Mémoires couronnés et autres mémoires publiés par l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, coll. In-8°, t. 63, Bruxelles, 1904.  Il peut aussi être fort utile de consulter la Carte de Cabinet des Pays-Bas autrichiens levée à l’initiative du comte de Ferraris.  Mémoires historiques, chronologiques et oecunemiques, t. 6, Bruxelles, 1969.

Sur la mécanisation de l’agriculture nous conseillons la lecture de *La mécanisation des travaux agricoles. Catalogue raisonné de collections d’instruments, Centre Belge d’Histoire Rurale, Louvain-la-Neuve, 1986 et de *Jean GADISSEUR, L’agriculture et l’industrialisation au XIXe siècle, dans L’agriculture au passé et au présent. XIXe et XXe siècles, Ecomusée régional du Centre, La Louvière, 1987,  pp. 9-28.

Sur le développement des voies de communication au XIXe siècle, une bonne synthèse est donnée par Ginette KURGAN-VAN HETENRYK, D’excellentes voies de communication.  Trois fois plus de routes, dans La Wallonie.  Le pays et les hommes.  Histoire – économie – société, sous la dir. de H. Hasquin, t. 2, de 1830 à nos jours, s.l., 1976, p. 53-63.  Voir aussi *Bart VAN der HERTEN, Les chemins de fer vicinaux et le désenclavement des campagnes belges (1865-1913), dans Bulletin du Crédit communal de Belgique, 53e année, n° 209, 1999/3, pp. 19-39; *Bart VAN der HERTEN, A l’ombre des voies navigables et des chemins de fer. La prestation économique des transports routiers en Belgique 1830-1866, dans Bulletin du Crédit communal de Belgique, 49e année, n° 194, 1995/4, pp. 51-66, Bart VAN DER HERTEN et Edwin HORLINGS, Le transport en Belgique entre 1830 et 1900. Reconstruction d’une banque de données, dans Bulletin du Crédit communal de Belgique, 51e année, n° 201, 1997/3, pp. 5-21. 

L’histoire des chaussées au XVIIIe siècle et en particulier de la chaussée pavée Mons-Bruxelles, a été retracée par L. GENICOT (…).  On trouvera aussi de bons renseignements dans (…).  Pour comprendre l’importance des chaussées pavées dans le contexte économique du XVIIIe siècle, consulter aussi *C. BRUNEEL et L. DELPORTE, La chaussée, gage de prospérité ?  Le roman pays au XVIIIe siècle, dans De Brabantse Stad.  Tiende colloquium, Brussel 23 en 24 september 1993, publié dans Bijdragen tot de Geschiedenis, t. 78, fasc. 1-4, 1995, p. 67-91. On en trouvera un résumé dans *La Route.  Actes  des Journées internationales tenues à Enghien-les-Bains du 13 au 15 mai 1994, Textes réunis et présentés par Serge DAUCHY et Philippe SUEUR, Lille, 1995, p. 27-32. 

Sur l’état démographique de la région et la population de nos villages à la fin de l’Ancien Régime, les chiffres ont été publiés par *C. BRUNEEL, L. DELPORTE et B. PETITJEAN, Le dénombrement général de la population des Pays-Bas autrichiens en 1784.  Edition critique, AGR, Bruxelles, 1996. (Centre de services et réseau de recherche, 3), 219 p.  Voir aussi *C. BRUNEEL, L. DELPORTE et B. PETITJEAN, L’enquête de 1786 en vue de la réforme des paroisses des Pays-Bas autrichiens.  Edition critique des données démographiques, AGR, Bruxelles, 1998.  Un aperçu plus régional est donné par *L. DELPORTE, L’enquête de 1786 sur les paroisses : l’exemple du doyenné de Halle, dans Annales du Cercle d’Histoire Enghien-Brabant, t. 2, 2001, p. 53-106. 

L’histoire du Canal Bruxelles-Charleroi a été retracée dans le très bel ouvrage *André STERLING et Michel DAMBRAIN, Le Canal de Charleroi à Bruxelles témoin d’une tradition industrielle, s.l., 2001. (Traces, 4).  Pour le replacer dans le contexte général du développement des voies navigables en Belgique, on aura recourt aux articles de *Bart VAN der HERTEN, La navigation intérieure belge de 1830-1913 : une analyse technique du trafic, dans Bulletin du Crédit Communal de Belgique, 50e année, n° 197, 1996/3, pp. 51-72.

Le développement du chemin de fer fait l’objet d’une bibliographie extrêmement abondante. 

Avec la période d’essor, puis de déclin, on passe surtout à une littérature plus locale faite de monographies ou d’articles sur l’une ou l’autre des industries présentent à Tubize et dans la région.  Il n’est pas possible d’y faire référence de manière exhaustive ici.  En outre, ces ouvrages sont parfois à utiliser avec beaucoup de précautions.  La plupart de ces ouvrages ou articles sont consultables au Centre de Documentation du Musée « de la Porte » pendant les heures d’ouverture du Musée. 

Vous pouvez utiliser cet article ou ce qu’il contient à la condition de citer la référence suivante :

Luc DELPORTE, L’industrialisation de la région de Tubize, extrait du site www.museedelaporte.be (Consulté à la date du …).