Notre fidèle collaborateur Jacques Debacker, ancien ingénieur des Forges, a fait don au Musée de deux très anciennes lettres que les Forges de Clabecq adressèrent en 1829 et en 1836 à Monsieur et à Madame De Gorge-Legrand.
Si ces documents ne vont pas révolutionner notre connaissance de l’histoire des Forges, ils n’en demeurent pas moins précieux. Aussi, nous nous réjouissons vraiment de les présenter ici. Ils nous permettent en tous cas d’évoquer certaines techniques employées par les Forges dans la première moitié du XIXe siècle.
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Les deux lettres
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Bruxelles, le 18 août 1829
La Société des Forges de Clabecq,
A Monsieur De Gorge Leugrand [sic] Hornu
J’ai reçu vos deux lettres du 24 juillet et 1er août. Pour satisfaire autant qu’il m’est possible à votre première je vous ai crédité de C 25,17 soit P.B. 22,15 pond 10 d par % diminution sur votre facture du 6 juillet. J’ose espérer qu’apprésiant la qualité de mes fers le prix fous engagera à me … la préférence pour vos ordres.
A moment d’exécuter la commande que vous me faites par votre seconde, l’un des cylindres pour faire les tôles de la dimension demandée a manqué. Je pense que l’ouvrier qui doit travailler ces tolles pourrait également faire votre chaudière si elles avaient 2 pouces de moins de largeur. Dans ce cas je pourrais vous les faire faire de suite sinon je ne pourrai vous les livrer que vers le vingt de 7bre. Cet accident me contrarie beaucoup désirant pouvoir exécutter toujours vos commandes à votre entière satisfaction.
J’ai l’honneur de vous saluer
La Société des Forges de Clabecq
Goffin Mathieu
Dans le coin inférieur gauche :
On peut faire les tolles 2 pouces de moins de largeur
Au dos de la lettre :
Monsieur Degorge Leugrand
A Hornu
Par Mons
Et dans un coin, toujours au dos :
Bruxelles le 18 août 1829
Société des Forges de Clabecq
.. le 23 Ct
1 do
Cachets de la poste :
Brussel 21 aug.
Bergen 22 aug.
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Forges de Clabecq, le 29 mars 1836
La Société des Forges de Clabecq
A Madame De Gorge Legrand à Hornu
La lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 23 courant ne m’est parvenue que le 27, l’adresse portant Clabecq prez Nivelles, tandis que l’usine est située près de Hal, voilà ce qui a occasionné le retard.
Je ne puis entreprendre la pièce que vous me commandez que pour vous la livrer du 10 au 15 mai et au prix de 80 francs les 100 K.
Pour exécuter la pièce convenablement, il faut que je fasse disposer des masses exprès faites avec des mitrailles de choix. Le délai que je demande est un peu long ; mais vous pouvez compter, Madame, que je ferai tout ce que je pourrai pour l’abréger.
J’ai l’honneur d’être, Madame, votre humble serviteur
Billard
Au dos de la lettre :
Madame De Gorge Legrand
A Hornu
Et dans un coin, toujours au dos :
Clabecq
29 mars 1836
Billard
R 1 avril
1 do
Cachet de la poste :
Halle 31 mars 1836
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Le charbonnage du Grand-Hornu, client des Forges de Clabecq
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Les deux lettres que nous présentons étaient adressées, en 1829 à Monsieur De Gogre–Legrand, et en 1836 à Madame De Gorge–Legrand.
Henri De Gorge (1774-1832) est l’industriel français (naturalisé belge en 1831) qui est à l’origine du site industriel du Grand-Hornu que nous connaissons encore aujourd’hui.
Le 17 août 1800, lorsqu’il épouse en secondes noces Eugénie-Désirée Legrand, fille d’un négociant important de la ville de Lille, il est renseigné comme propriétaire de terres agricoles. Avant cela, il avait servi quelques temps dans l’armée française. En 1810, il reprend une concession minière, le charbonnage du Grand-Hornu, qu’il va moderniser. Il y construira un ensemble architectural remarquable avec des bâtiments industriels et une cité ouvrière de 450 maisons, qui vient tout récemment d’accéder au rang de Patrimoine mondial de l’UNESCO. Il disparaît inopinément à Mons le 24 août 1832, victime du choléra.
Sa veuve reprend alors la direction du charbonnage qu’elle lèguera par la suite à ses neveux. C’est à elle qu’est adressée la seconde lettre.
Le charbonnage du Grand-Hornu était donc client régulier des Forges de Clabecq. Il est question d’une facture du 6 juillet (pour une commande dont on ignore tout) et d’une nouvelle commande (lettre du 1er août 1829) sur laquelle nous avons quelques précisions intéressantes. En 1836, la veuve d’Henri Degorge se fournissait toujours à Clabecq.
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Le laminage des tôles
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La lettre de 1829 évoque une facture du 6 juillet et une nouvelle commande du 1er août. Celle-ci portait sur des tôles et il est question d’une « chaudière » (pour une machine à vapeur ?). Suite à un « accident », les Forges n’étaient pas en mesure de fournir les tôles de la bonne largeur. Le problème se situait du côté d’un cylindre pour le laminage, ce qui indique qu’à cette époque déjà ont était passé du forgeage des tôles à leur laminage.
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La masserie
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La seconde lettre fait état d’une commande d’une « pièce » sur laquelle nous n’avons pas de précisions particulières. Par contre, le directeur des Forges de l’époque, Mr Billard, précise que pour la réaliser, il doit faire des « masses exprès avec des mitrailles de choix ». Cette indication fait référence à une technique qui fut employée durant tout le XIXe siècle aux Forges et qui a disparu ensuite.
Jacques Debacker nous a envoyé la petite réflexion suivante que je m’enpresse de signaler sur le site :
Une question se pose évidemment. Qu’est ce que cette « masse » dont il est question et qui a l’air d’être composée de mitrailles?
Les anciens des trains de Clabecq (ceux de l’usine construite à partir de 1909) se souvenaient d’avoir laminé des « masses ». Elles étaient composées d’un ensemble de mitrailles compactées. Ce « compact » était chauffé au four et laminé. En voyant ce texte, on peut supposer que cette technique était déjà utilisée en 1830. Evidemment, un bon laminage étaint nécessaire pour souder tout cela ensemble. Cette technique doit avoir disparu vers les années 1940. Une telle pièce devait présenter une hétérogénéité évidente. Mais en comparaison avec du fer puddlé (plein de scories), lequel était le meilleur ? Il serait intéressant de rechercher qui aurait pu faire des essais à ce sujet ! Au microscope, il est très facile de les reconnaître. Le fer puddlé présente entre les grains des allongement de scories dans le sens du laminage. Le fer fait à partir de masses doit présenter des oxydations entre grains, un manque de continuité et des scories moins orientées.