L’impact visuel et graphique des Forges ne laisse pas les artistes indifférents. Là où la plupart des gens ne voient que ferailles, tôles, enchevêtrements de tubes et structures, les artistes transposent. Des milliers de photographies ont été prises aux Forges dont quelques clichés du couple d’allemands mondialement connu pour sa maîtrise de la photographie  industrielle, Hilla et Bernd Becher.

Lucas Belvaux : tournage de « La Raison du plus Faible »

Pareilles structures ne pouvaient pas laisser les cinéastes inattentifs. Bien sûr, les usines abandonnées exercent une sorte de façination à la quelle les metteurs en scène n’échappent pas. Combien de polars ne se terminent-ils pas par une poursuite effrénée dans les dédales d’une usine à l’abandon? Récemment encore, la cokerie de Marchienne, à l’arrêt depuis 2009, a accueilli toute l’équipe de Largo Winch pour quelques scènes musclées au milieu des anciens fours à coke encore tièdes. Il y a d’ailleurs quelques secondes de ce film qui ont été tournées sur la rampe d’accès au HF6, celle qui mène au plancher de coulée. Ces images sont mélangées à celles de la cokerie et passent pratiquement inapercues pour qui ne connait pas bien les Forges.

Quelques productions ont donc logiquement profité du cadre exceptionnel des Forges pour y tourner parfois seulement quelques scènes furtives (Rien à Déclarer de Dany Boone) ou pour profiter du caractères historique et exceptionnel du site, condition indispensable à la crédibilité du Cri tourné par Hervé Baslé en 2006 et auquel bon nombre d’anciens de Clabecq ont participé en tant que figurant ou consultant. Le Musée de la Porte remercie particulièrement Sylvia Pigarella du Centre Culturel de Tubize  pour sa contribution à ce dossier, il y a des choses que nous ignorions.

1. André Delvaux en 1956 : Forges

André Delvaux est probablement le premier cinéaste à être tombé sous le charme des installations sidérurgiques de Clabecq. Avec ses deux compères André Bettendorf et Jean Brismée, Delvaux profite de sa situation familiale (il est alors le mari d’une des filles d’Emile Dessy, propriétaire des Forges) pour se lancer dans la réalisation de son tout premier film. Présentées aux Festival du Film Industriel d’Anvers, ces 19 minutes ont été exhumées de l’oubli par le Musée de la Porte et sont intégralement visibles dans la salle réservée aux Forges. Delvaux nous emmène dans une visite bouillonnante des installations. Ces très rares images en couleur jettent un regard froid sur la réalité industrielle de l’époque :  plein emploi, conditions de travail, mécanisation, course vers le rendement, diversification, usine intégrée, mixité sociale et identitaire.

2. Le Cri de Hervé Baslé : IMDb 7.3 Même si l’intrigue se passe dans le nord de la France, le cri est probablement le film (en réalité une succession de 4 téléfilms de 360 minutes) qui fait la part la plus belle aux Forges. Il fallait retrouver un environnement industriel crédible pour toute la période d’avant guerre. Il y a fort à parier que l’équipe du film n’a pas du hésiter longtemps en visitant les Forges. La phase liquide de Clabecq ayant définitivement été arrêtée en 2001, les deux derniers haut-fourneaux à monte charge Sthaeler d’Europe construits juste au début du 20ème siècle allaient devenir le cadre idéal de la saga imaginée par Baslé. Le haut-fourneau 6  étant quant à lui soigneusement gommé du paysage.

Le temps du tournage, les HF’x ont donc virtuellement repris du service grâce à la pyrotechnique et la vie a repris autour des planchers de coulée. Des décors ont été ajoutés aux installations pour notamment recréer une entrée d’usine typique des années 20. Les derniers vestiges de cette résurrection temporaire ont récemment été démolis dans le cadre de la reconversion du site.

 

Interview Hervé Baslé, réalisateur de la mini-série ‘Le Cri’ : Propos recueillis par AMÉLIE DE VRIESE pour France 2
(extrait du dossier de presse)

Raconter un siècle de sidérurgie, c’est raconter un cri, poussé par des générations d’ouvriers, qui résonne encore et toujours aujourd’hui. Le cri d’une souffrance, celui d’une révolte, le cri de la mort. Car il était parfois difficile de ne pas mourir dans un univers de fer et de feu, où l’existence du sidérurgiste avait si peu d’importance. C’est la vie et la survie de tous ces ouvriers qu’Hervé Baslé déroule devant nous.Parler des gens dont on ne parle pas
« L’idée demeure toujours la même : parler des gens dont on ne parle pas ou rarement. Jamais, en tout cas, on ne les regarde longuement. En règle générale, on croit que, pour faire rêver, les sagas doivent présenter des univers inaccessibles à la majorité des spectateurs. Je préfère leur montrer ce qu’ils sont et c’est, d’ailleurs, la raison pour laquelle je fais ces films. Ils s’inscrivent dans une continuité. Dans le désir de raconter aux jeunes d’où ils viennent, ce qu’il y a derrière eux. Peut-être cela les aidera-t-il à construire leur vie. Il ne s’agit pas de nostalgie, encore moins d’une intention de donner des leçons. Un proverbe africain dit : “Si tu ne sais plus où tu vas, retourne-toi et regarde d’où tu viens”. Cette idée a germé avec Le Fils du Cordonnier : comment s’en sortir quand on naît dans un milieu défavorisé ? Ma grand-mère, fille de cordonnier, dont le père infirme n’avait pas pu prendre la mer comme tous les autres gars de la région, me répétait souvent quand j’étais gosse : “Un cordonnier n’est jamais riche”. »La maladie de l’ouvrier
« La définition de l’ouvrier n’est plus la même qu’il y a vingt ou trente ans. Elle est en train de basculer, voire de disparaître. N’est-ce pas assez noble d’être ouvrier ? Serait-ce une volonté du pouvoir — qui qualifie par ailleurs de “technicienne de surface” une femme de ménage — d’éviter une conscience ouvrière et des mouvements ouvriers ? Je ne sais pas. Mais, tout comme le mot ouvrier est malade, la métallurgie en France est en très mauvaise santé. Ce qui sort d’un haut fourneau, aujourd’hui, ne vient plus de chez nous. Pour ces deux raisons, je désirais que l’action du film ait pour cadre le monde de la sidérurgie. En outre, le feu, comme symbole et élément visuel, m’attirait beaucoup. Et puis, après l’eau (Entre terre et mer) et la terre (Le Champ dolent), il me manquait le feu. »L’héritage
« La filiation, la transmission — non seulement du patrimoine mais du savoir, du savoir-faire et aussi de valeurs comme l’entraide — ne doivent pas être oubliées. C’est aussi, je crois, d’actualité. »Dynastie
« Ça me plaît bien d’associer ce terme au monde des ouvriers ou à celui des pêcheurs. Quand on s’attarde sur une dynastie de sidérurgistes, on se rend compte que ce qu’ils vivent, ce qui les motive, ce qui les remue…, est aussi important – sinon plus – que le vécu des rois et des reines racontés par Shakespeare. »Ce qu’il y a derrière, c’est aussi aujourd’hui
« Le film dresse une sorte de constat, de bilan, qui va du XIXe siècle à nos jours, où le haut fourneau, transformé en musée, est devenu le dernier témoin d’un passé révolu. Lorsque je parle d’aujourd’hui, je me réfère toujours au passé. Aujourd’hui est la résultante de toute l’Histoire avec un grand H. En conséquence, l’idée de ce film a suscité quelques réactions moins enthousiastes. Il ne fallait conter, me disait-on par exemple, que la métallurgie en blouse blanche. Comment imaginer bâtir du nouveau, cette métallurgie en blouse blanche justement, en gommant un passé riche d’enseignements ? Il y a forcément un intérêt à ne pas remuer certains aspects de la politique — pas seulement à propos de la métallurgie. Lorsque l’on entend François Morel (le syndicaliste Ferrari) présenter le programme du gouvernement provisoire, qui reprenait les thèses du conseil national de la Résistance, on réalise à quel point, aujourd’hui, on tord le cou à beaucoup de ces idées. »



Hervé Baslé, réalisateur du Cri nous confie certaines clés qui l’ont poussé à traiter de différents thèmes dans la saga du Cri.



1. Transmission du savoir

 

2. Pourquoi Clabecq? Le rôle de R. Langendries



3. A la rencontre du monde ouvrier



4. Paroles d’Ouvriers



5. Le Cri







Un paysage propre sur lui
« C’est dommage – et pire que ça – que l’on ait voulu aussi effacer des paysages toute trace de cent ans d’histoire en démontant les hauts fourneaux. En faisant place nette, on a gommé les racines d’un pays. Par exemple, à Longwy, aucun jeune de 20 ans, fils ou fille de métallo, n’a vu d’aciéries. »

L’amour du métier
« Il est indispensable d’avoir des conseillers techniques sur le tournage pour donner aux comédiens l’envie d’effectuer les choses avec justesse. Pour montrer que, dans tout métier, il y a une fierté du travail bien fait et du beau geste. Tous les figurants venus sur le film avaient autrefois bossé sur le plancher de coulée. Pas un qui n’ait voulu être là pour témoigner ! Ces “anciens” se sont bousculés pour devenir figurants, pour montrer aux jeunes comment procéder et répondre à leurs questions. »

Travail en amont
« Comme pour Entre terre et mer et Le Champ dolent, je me suis interdit de lire des choses romancées, pour ne pas avoir un jugement trop sévère sur mon « roman » à moi. J’ai trouvé quantité de documents, notamment le « livre de bord » de La Providence, une entreprise de hauts fourneaux, du côté de Longueville. Il détaille les achats de matériel, la production, le rendement, les accidents et les morts, les discours des directeurs les jours de Saint Éloi… Formidable ! J’ai glané plein d’autres ouvrages de ce type. J’ai reçu aussi un très joli livre réalisé par des maîtres de forges. Surtout, je me suis plongé dans l’histoire du monde ouvrier depuis le XIXe siècle, qui m’a permis d’évoquer avec exactitude les grands mouvements sociaux. »

L’histoire des gens ordinaires
« L’histoire que ces films véhiculent est importante. Mais avant tout, il s’agit d’aventures humaines. On montre la vie des gens ordinaires dans un milieu où il n’est pas facile de vivre, où on a droit à des crochepieds. Je n’ai pas envie de porter des pancartes. À mes débuts comme réalisateur, on me l’a reproché. La mode était aux films à caractère social où l’on affichait ses intentions : voilà ce que je vais vous dire, où je compte vous emmener, vous devez y adhérer ou vous n’êtes pas un bon téléspectateur. Je préfère que les gens se fassent leur religion. Il faut même qu’il y en ait qui ne soient pas d’accord du tout, sans quoi ce serait suspect ! (rires) »

 

3. La Raison du plus Faible de Lucas Belvaux [184.000 entrées en salle en France, 8 nominations à Cannes en 2006 dont Palme d’Or et Mise en Scène – IMDb 6.9]

On pourrait penser que Lucas Belvaux a simplement cherché à replacer l’intrigue de ce polardans un environnement industriel impressionnant. C’est oublier le contexte social du film, celui des ouvriers confrontés à des problèmes financiers graves en pleine crise économique. Situé initialement dans le bassin liégeois, Clabecq a néanmoins servi d’écrin aux scènes en milieu industriel, au pied des haut-fourneaux.

Le cinéaste revient sur la dimension personnelle de son film : « Je n’ai jamais milité. Mas là, c’est probablement mon film le plus personnel parce que je parle de gens que certes, je n’ai pas connus (je n’ai pas connus de mecs qui ont fait des casses), mais je me souviens d’un de mes grands-pères, de ma grand-mère… Ce grand-père était sidérurgiste-métallurgiste comme tous ses frères et beaux-frères. C’était une famille de métallos depuis les années 20. J’ai beaucoup pensé à eux, à ce qu’ils ont vécu, à ce qu’ils m’ont raconté, à leurs conditions de travail (…) C’étaient des vies épouvantables et cependant, ils savaient que l’année d’après ce serait un peu mieux, et l’année suivante encore un peu plus et que leurs enfants ne vivraient pas ça ».

 

[Synopsis Allo Ciné] L’histoire se passe à Liège, Belgique, aujourd’hui. C’est l’histoire de quatre hommes, d’une femme et d’un enfant que le destin va réunir. C’est une histoire qui commence dans la chaleur. La chaleur de l’été, la chaleur d’un café où les hommes se retrouvent pour jouer aux cartes.C’est une histoire de pudeur où on ne dit son mal que quand il est trop tard. C’est une histoire où l’argent manque ici, est trop visible là. C’est l’histoire de gens qui n’en peuvent plus, usés, brisés, vidés par leur travail.

C’est l’histoire d’hommes qui vont prendre des armes pour aller chercher l’argent là où il est, dans la poche d’autres car ils pensent qu’ils en ont le droit !
Une histoire sans bons et sans méchants. Une histoire de forts et de faibles. Où chacun a ses raisons, où chacun choisit son camp.

C’est une histoire où certains mourront pendant que d’autres survivront mais dont personne ne sortira indemne

4. Rien à Déclarer : Dany Boon 2010 [1 nomination aux Gérard du Cinéma, 8 millions d’entrées en France] IMDb 6.2.

Plus anecdotique, l’apparition des Forges se limite à quelques vues des bâtiments le long de la ligne de chemin de fer. Point de silhouettes de haut-fourneaux ici mais seulement les anciennes fonderies occupées actuellement par Modulart derrière la gare de Clabecq. C’est le repère des trafiquants.

[Synopsis Allo Ciné] : 1er janvier 1993 : passage à l’Europe. Deux douaniers, l’un belge, l’autre français, apprennent la disparition prochaine de leur poste frontière situé dans la commune de Courquain France et Koorkin Belgique.
Francophobe de père en fils et douanier belge trop zélé, Ruben Vandevoorde (Benoît Poelvoorde) se voit contraint et forcé d’inaugurer la première brigade volante mixte franco-belge.
Son collègue français, Mathias Ducatel (Dany Boon), considéré par Ruben comme son ennemi de toujours, est secrètement amoureux de sa soeur. Il surprend tout le monde en acceptant de devenir le co-équipier de Vandevoorde et sillonner avec lui les routes de campagnes frontalières à bord d’une 4L d’interception des douanes internationales.

5. L’instit : Le Rêve du Tigre, téléfilm réalisé par José Pinheiro en 1998. Dans cet épisode, le célèbre instituteur incarné par Gérard Klein évolue dans le cadre du Château des Italiens de Clabecq, qui, comme dans la réalité, accueille une communauté de travailleurs immigrés. Le téléfilm se passe dans Clabecq, au pied des usines qui étaient alors encore en activité. Elles sont le cadre d’une banlieue industrielle, parfaitement réaliste.

[Synopsis] Le père de Julien pousse son fils pour qu’il soit premier. Le père de Moussa, lui, doit retourner dans son pays. Julien et Moussa sont tous deux bons coureurs et un enfant séllectionné pour ses performances sportives aura la possibilité de suivre de bonnes études. Moussa est ami avec Marco et Danka, un garçon et une fille qui s’aiment, bien que d’origines différentes …

6. Cinéman de Yann Moix 2009 IMDb 3.0

Cette production fait la part belle à une multitude d’univers cinémétographiques à travers lesquels évolue le personnage principal. C’est la gare de Clabecq qui ouvre le film, en noir et blanc, et l’action se situe dans les années 20. A la fin de la scène, les protaganistes s’éloignent le long du chemin du hallage, le haut fourneau 6 est dans le champ. Une élypse bien involontaire de presque 70 ans …

[Synopsis Allo Ciné] Yann Moix définit avant tout Cinéman comme une  » comédie d’amour, d’amour tout court, et d’amour du cinéma par la même occasion «  » Je voulais voir si on pouvait faire une comédie en mélangeant tous ces univers qui nous ont marqués, qui habitent notre imaginaire, qui font partie de nous aujourd’hui, explique le réalisateur. C’est vrai que j’aime tous les genres de cinéma. Je suis très éclectique et un peu boulimique aussi : je peux, pendant une semaine, ne regarder que les films de Roberto Rossellini et la semaine suivante me faire tout Louis De Funès ! Bien sûr, certains sont des chefs-d’oeuvre et d’autres des nanars. Il n’empêche qu’on peut les aimer autant sinon de la même manière, c’est juste le plaisir qui est de nature différente. Dans Cinéman, ça m’amusait justement de faire traverser à Franck Dubosc presque tous les genres de cinéma, et des films aussi différents que Barry Lyndon et Zorro, sans trier, comme s’il n’y avait pas de hiérarchie. « 

 

 

7. Les émules : 2012  les Forges ont peut-être inspiré les metteurs en scène, mais les hommes de Clabecq ne sont pas en reste. Ainsi Roberto D’Orazio qui s’était déjà illustré dans certaines pièces et spectacles (nous y reviendrons) vient de terminer le tournage du déjà très apprécié « Au Cul du Loup » de Pierre Duculot.

[Synopsis] Christina, bientôt 30 ans, vit dans la région de Charleroi, avec son petit ami Marco. A la mort de sa grand-mère, elle hérite d’une maison en Corse. Dans son entourage, personne ne semble savoir pourquoi la vieille dame possédait cette maison. Sa famille presse Christina de vendre son bien. Mais elle s’y refuse. Elle veut comprendre pourquoi sa grand-mère lui a laissé cet étrange legs. Elle voit aussi en cet héritage une occasion unique de remettre en question sa vie monotone. Sur un coup de tête, elle part seule à la découverte de sa maison. Ce voyage va chambouler son existence. Et celle de ses proches…