Jacques Debacker, directeur général technique de l’usine se souvient des rudes hivers qui pouvaient frapper les Forges : il nous compte ici le quotidien hivernal assez méconnu des hommes qui travaillaient sur le complexe industriel de Clabecq.
S’il y a une période de l’année qui était particulièrement pénible pour le personnel de Clabecq (surtout dans l’ancienne usine), c’était les gros hivers que nous avons connus par le passé. Les gens se souviennent de l’hiver 62/63 ou il a gelé depuis la mi-novembre jusqu’au début mars.
Cette période de l’année était crainte et la direction avait mis au point des mesures afin d’assurer la sécurité du personnel et la fiabilité de marche des installations. Il faut dire que les résultats étaient positifs, mais à quel prix ?
La neige et le gel étaient particulièrement difficiles à vivre dans les usines sidérurgiques d’avant 1970. Il y avait bien sûr le personnel qui travaillait à l’extérieur, mais les conditions à l’intérieur n’étaient pas nécessairement meilleures. Si des lieux étaient privilégiés, à cause de la proximité des fours, des cornues, des poches chaudes, des coulées de l’acier, des produits fraichement laminés ou des hauts-fourneaux, pas mal de personnes étaient exposées au courant d’air glacial. Il n’était pratiquement pas possible de fermer toutes les portes vu qu’il fallait les ouvrir pour travailler ou que le lieu de travail était pratiquement à l’extérieur.
Le premier problème était l’état des routes. Il fallait dégager la neige et jeter du sel. Il y avait quand même 8 km de routes. On mettait souvent du laitier, mais c’était mortel pour les aiguillages.
Le personnel de la traction et principalement les accrocheurs devaient travailler dans des conditions pénibles. En effet courir le long des voies à côté des convois était particulièrement dangereux. Une glissade pouvait vous blesser lourdement. Accrocher les wagons en passant sous les butoirs, donc entre les voies, n’était pas simple dans la neige. Il fallait aussi dégager la neige des aiguillages pour éviter les déraillements. Il fallait que l’aiguille soit parfaitement contre le rail. Gérer un déraillement par ce genre de climat était particulièrement dur. En effet par ces températures basses, mettre une traverse, les vérins et remettre à rail tenait du miracle. Bien souvent ils utilisaient une méthode « préhistorique» qui consistait à mettre des bouts de tôles sous les roues, de manœuvrer le convoi en espérant que les roues montent sur les tôles et tombent sur les rails.
C’est ainsi que j’ai fini par admettre qu’il trainerait toujours des bouts de tôles le long des voies. Il fallait aussi se méfier des ruptures d’attelage dues au froid. En effet la température de transition des aciers se situaient entre moins 10 et moins 20 degrés. Voir une partie du convoi prendre sa liberté propre n’était pas facile à gérer et particulièrement dangereux.
Le personnel d’entretien de jour et les maçons étaient réquisitionnés et mis à deux postes de 12 heures pour couvrir la totalité de la journée. Les trois grands services, Haut-fourneau, Aciérie et Laminoir, devaient absolument garantir la circulation des eaux. En effet la vie de toutes les infrastructures était basée sur le refroidissement avec de l’eau. Il s’agissait entre autres des structures de fours et du refroidissement des trains. Ce qu’il fallait craindre particulièrement c’était les eaux dormantes. En effet les eaux qui avaient une vitesse suffisante dans leur tuyau tenaient jusque moins quatre degré et ,de plus, la nouvelle eau était plus chaude. Toutes portions de tuyau d’eau sans mouvement, éclatait sous le gel. Il fallait assurer des purges à plein d’endroits.
Comme ces usines étaient basées sur un seul combustible, le gaz de haut-fourneaux, et que les vannes mécanique de l’époque n’étaient pas sures, c’est un joint hydraulique qui assurait la fermeture ou l’ouverture des circuits gaz. Ces joints étaient évidemment alimentés en permanence avec de l’eau, ce afin d’assurer leur fonction avec sécurité. La remise d’eau et la vanne centrale ouverte ou fermée garantissait la sécurité. Comme le gaz de haut-fourneau était le combustible généralisé, il y avait des joints de tous les côtés. Chaque joint nécessitait un braséro qu’il fallait entretenir. Je me souviens dans les années 60 avoir compté environ 200 dans l’usine et j’ai dû en passer.
Rien qu’au service haut-fourneau, il y avait plus de 90 feux. Les cloches, les sondes et les accumulateurs à minerai et à coke devaient être préservés du gel.
Un autre gros problème naissait par ces temps de gel, il fallait décharger les wagons de minerais et de coke. En effet sous l’effet de l’humidité ces produits étaient gelés et restaient dans les trémies. Il fallait faire des feux de fagots (du bois liés) sous les wagons pour qu’ils daignent se vider. Il fallait encore faire attention à ne pas mettre le feu au coke dans les wagons. Plus tard on a utilisé des chalumeaux desservis par du gaz en bouteilles. C’était plus facile mais il fallait chauffer la bonbonne avec un braséro pour qu’elle ne gèle pas. La vanne de détente de la bonbonne générait du froid et se bloquait. L’arrivée du gaz naturel a, par après, réglé bien des problèmes de ce genre.
Toutes les installations soumises au froid n’étaient jamais arrêtées. En effet les graisses et les huiles à basses températures diminuaient en viscosité et les moteurs n’étaient plus capables de redémarrer un tel ensemble. Un exemple était les transporteurs à courroies de l’agglomération.
Par ces grands froids, il n’était pas question de manœuvrer une vanne à lunette dans le réseau du gaz de haut-fourneau à gros diamètre. La partie mobile de la conduite pouvait refuser de se contracter ou la lunette refuser de bouger. Son calage dans une position intermédiaire aurait créé une fuite de gaz permanente impensable.
La pénibilité du travail était limite. En effet aucun hall n’était chauffé. Sur le site des usines de Clabecq il faisait réellement très froid. De plus les points très chauds subsistaient ce qui amenait le personnel à des variations de température importantes. On pourrait prendre comme exemple les fondeurs au plancher de l’aciérie Thomas. Le plancher de travail était sans toit. Lorsqu’il fallait aller au bec (nettoyer le bec de la cornue en tenant une billette droite et que la cornue se rabattait sur elle), on avait un revêtement réfractaire à 1500 degré et l’homme à 1 m. Dès qu’il se retirait ou que la cornue basculait l’homme se retrouvait dans une ambiance de gel. Il fallait être particulièrement costaud.
Mon premier chef de fabrication m’a raconté qu’il était rentré à l’aciérie comme aide-machiniste dans la cour de l’aciérie dans les années 30. L’aciérie travaillait du lundi matin 6h au dimanche suivant à 6 h. Le lundi matin, il devait être à l’usine à 4 h pour allumer le feu de la locomotive afin qu’elle soit en pression à 6 h. Le machiniste arrivait vers 5h 30 et emmenait avec lui la soupape de la chaudière (Il là tenait dans son armoire ou l’emportait avec lui). Il la plaçait, ce qui permettait à la pression de monter. Les armoires vestiaires étaient dans la cour à l’extérieur et le personnel allait se laver à la rivière qui était à 75 m. Par temps de gel cela devait être particulièrement pénible dans ces années d’avant 1940.
L’ensemble de ces installations, conçues début du vingtième siècle, n’étaient pas conçues pour faire face aux grands froids. On faisait par exemple rouler les ponts roulants pendant les périodes d’arrêt afin de garantir les contacts électriques avec les rails de prise de courant. Cela surtout pour les ponts extérieurs car un verglas leur était fatal. Les patins de prise de courant ne touchaient plus les rails en cuivre.
Les chefs de fabrication et les contremaîtres connaissaient bien ces situations et devaient faire face. Toutes les responsabilités étaient sur leurs épaules. Chaque service avait mis au point une note à appliquer en cas de grands froids. A la traction, leur façon de s’habiller était exceptionnelle, c’était du genre passe montagne, double gants, triple pull, caleçon long, écharpe nouée devant la bouche. Et à chaque occasion,se réfugier dans un endroit chauffé.
Je dois dire ici mon respect pour toutes ces personnes qui ont permis à des tas d’autres d’avoir de quoi vivre en ces temps là.
Les nouvelles installations sont évidemment beaucoup mieux conçues, le personnel est bien protégé, les cabines climatisées, les halls mieux fermés. Le gaz de hautf-fourneau a disparu et est remplacé par du gaz naturel. Les vannes actuelles sont fiables, de plus le gaz naturel ne contient pas de CO.
Que mon petit mot soit un souvenir pour l’ardeur de nos parents et grands-parents.
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