L’histoire de la fondation des Forges de Clabecq en 1781 a déjà été écrite par l’historien Jean-Louis Van Belle. C’est à lui que revient tout le mérite de la découverte de l’acte notarial qui fixe la date de naissance des Forges.
Grâce à un document de 1786, nous savons que c’est pour parer aux difficultés de son entreprise, mue à grands frais par un simple moulin à chevaux, qu’un habitant et bourgeois de la ville de Bruxelles, du nom de Marc Pierre Van Esschen, entreprit de construire un nouveau moulin à battre le fer actionné par une roue hydraulique.
On ignore les raisons exactes qui le poussèrent à se fixer à Clabecq. Mais pour réussir dans son entreprise, il lui fallait un site favorable où il pourrait disposer de l’énergie hydraulique nécessaire, qui ne soit pas trop éloigné de la ville Bruxelles où il était « marchand » et avait donc ses affaires, et qui bénéficiait des moyens de communication indispensables pour permettre des transports pondéreux. Clabecq offrait sans doute tous ces avantages. Nous ignorons cependant tout de la manière dont il fut mis en contact avec le seigneur de Clabecq et ce qui poussa ce dernier à s’entendre avec l’entrepreneur bruxellois. Quoi qu’il en soit, le vicomte de Flodorp accepta de mettre à disposition de Marc Pierre Van Esschen l’infrastructure de son moulin à grain de Clabecq et de lui louer une prairie où il pourrait construire son usine.
Le bail de location fut passé le 8 novembre 1781 au moulin de Clabecq devant Dieudonné Joseph Carlier, notaire à Nivelles. Par cet acte, Antoine Otton vicomte de Flodorp acceptait de céder en location à Marc Pierre Van Esschen, pour une durée de 20 ans, un terrain d’une étendue d’un journal environ, pris dans une prairie qui dépendait de la ferme du Chêne, occupée par un certain Mathieu Vanac[h]ter et qui appartenait au seigneur du lieu.
Ce terrain était situé le long du chemin de Tubize à Braine-le-Château, à côté d’une terre appartenant à Mr Caïmo, occupée par Pierre Jacob, son fermier ; de la prairie d’où il était pris ; et des étables et écuries du moulin à eau de Clabecq.
Ce bail de location prenait cours le jour même, 1er novembre 1781, pour expirer fin octobre de l’année 1801. Il était assorti d’une série de conditions que nous allons examiner.
Location
Il y avait tout d’abord le prix de la location, qui était fixé à 200 florins de Brabant, à payer chaque année dans les mains et au domicile du receveur de Clabecq. Outre ce loyer, le preneur devait s’acquitter de toutes les taxes imposées sur le terrain.
Pour assurance du payement de ce « rendage » de 200 florins par an, le locataire s’obligeait à donner une caution suffisante, outre les bâtiments du moulin à battre le fer et tout ce qui y sert.
Le Maître de Forge, se voyait aussi interdire de louer ou céder son moulin sans le consentement du seigneur de Clabecq.
A la fin du bail, le preneur était tenu de remettre à ses frais le terrain dans l’état où il se trouvait avant la construction du moulin à battre le fer, situation que l’on a bien de la peine à imaginer.
Une clause prévoit également que le preneur pouvait renoncer à son bail de trois en trois ans, moyennant un préavis de six mois et pour autant qu’il remette le terrain dans son état initial.
Constructions
Il y avait ensuite ce que le preneur était autorisé à faire sur le terrain loué, à savoir bien sûr ériger un moulin à battre le fer. Pour ce faire, il pouvait se servir de l’eau de la rivière en aval des deux roues hydrauliques du moulin à grain de Clabecq, juste là où se trouvait un enclos qu’il devait déplacer à ses frais.
Comme la nouvelle roue du moulin à battre le fer devait être installée en aval des deux roues existantes, il était nécessaire de construire au milieu du bief un massif de pierre jusqu’à une hauteur suffisante pour soutenir la roue et lui permettre de tourner. Du côté de la rive, le preneur pouvait bénéficier d’une muraille de pierre déjà existante. En contrepartie, il était tenu d’entretenir à ces frais la muraille du bief située du côté de son moulin à battre le fer et le massif de pierre à construire pour soutenir sa roue.
Le preneur obtenait également la permission d’appuyer la charpente de son moulin à battre le fer sur les murs des étables et des écuries du moulin à eau au moyen de bois suffisants. Il était tenu à la réparation et à l’entretien de ces murs, du côté de son moulin à battre le fer. Il devait veiller à ne pas les détériorer d’une manière ou d’une autre.
Le croquis joint à l’acte situe ces écuries tout contre les roues, juste en amont de celles-ci. En admettant que le moulin à battre le fer s’appuyait sur ces bâtiments, ceux-ci devait enjamber le bief. On peut dès lors se demander s’il n’est pas fait ici allusion aux deux petits bâtiments encore représentés sur le plan de 1871 et occupés par la « bluterie » et par les « farines », qui auraient été occupés auparavant par les étables et les écuries du moulin.
Environnement
Comme on le voit encore parfaitement sur la carte de Ferraris, le canal de dérivation était bordé de plantation d’arbres. Il fallait donc les abattre pour permette la construction d’un bâtiment. Ces arbres abattus devaient demeurer au profit du seigneur de Clabecq.
Dans le même ordre d’idée, pour bien marquer la séparation entre le terrain mis en location et le reste de la prairie hors de laquelle celui-ci était pris, il était imposé au locataire de planter une haie à la saison favorable.
Le censier du seigneur, qui continuait à occuper la prairie voisine, devait jouir du passage jusqu’à celle-ci avec chariots, chevaux ou autres bestiaux. On a peine à imaginer aujourd’hui une scène où l’on verrait un troupeau de bêtes à cornes traverser une cour encombrée de matériaux les plus divers avec pour toile de fond des cheminées crachant leur fumées noires et une trentaine d’ouvriers s’affairant dans le vacarme des marteaux et des foyers.
Gestion de l’eau
Comme on peut parfaitement l’imaginer dans le cas d’un moulin, fut-il à battre le fer, les clauses relatives à la gestion de l’eau étaient d’une importance primordiale.
La « vantaillerie » du moulin à battre le fer, c’est-à-dire les vannes permettant de contrôler le débit de l’eau actionnant la roue, devait être entretenue en bon état et remise à neuf si cela devenait nécessaire, et cela aux frais du locataire.
Si la quantité d’eau n’était pas suffisante pour faire tourner à la fois les deux roues du moulin à grain et celle du moulin à battre le fer, ce dernier devait cesser de tourner pour laisser au moulin du seigneur la quantité d’eau nécessaire pour faire tourner ses deux roues et moudre avec aisance.
Le ponceau qui donnait accès aux roues du moulin a grain allait être touché par le nouveau bâtiment. Aussi M.P. Van Esschen devait donner à ses frais une autre « aisance » qui permette au meunier du seigneur d’atteindre ses roues.
M.P. Van Esschen devait nettoyer la « fausse eau », c’est-à-dire le canal de dérivation, à ses frais et entretenir et réparer les digues à frais communs avec le meunier.
Responsabilités du locataire
Le bail précise également que si le locataire se trouvait en difficulté avec son moulin à battre le fer, il aurait à en assumer la totalité des frais, sans que le seigneur soit tenu d’y participer.
Les feux de forges représentaient évidemment un danger réel. Au cas où un incendie se déclarait au moulin à battre le fer, ou aux écuries ou étables du meunier, à cause des fourneaux ou cheminées du moulin à battre le fer ou tout autrement, le locataire était tenu de payer les frais, dédommagements et intérêts résultant de cet accident.
Conclusions
Comme l’a bien démontré l’historien Jean-Louis Van Belle, c’est ainsi que « naissaient les Forges de Clabecq ». La construction des bâtiments du moulin à battre le fer débuta vraisemblablement dès novembre 1781, mais elle dut s’étendre au moins sur l’année suivante. Toujours est-il qu’en 1786 la petite usine de Clabecq employait déjà une trentaine de personnes.
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Retranscription du texte de 1781 :
Ce jourd’hui 8e de 9bre 1781, pardevent moi Dieudonné Joseph Carlier, notaire en la ville de Nivelles, admis au Conseil Souverain de Brabant, et des témoins ci après déclarés, fut présent Messire Antoine Otton vicomte de Flodorp, seigneur de Glabecq, de Lattuy, Piétrebais, etc. etc., brigadier des armées de Sa Majesté Catholique, chevalier commandeur dans l’Ordre de Calatrava en Espagne, etc., lequel nous a dit et déclaré d’avoir mis de louage à titre de bail au Sr Marc Pierre Van Esschen, habitant de la ville de Bruxelles, ici présent et acceptant, certain terrrein, contenant un journal ou environ, et tel qu’il se trouve, désigné en la carte figurative ou figure ici jointe, à prendre hors d’une prairie de la Cense du Chêne à Glabecq, occupée par Mathieu Vanacter, apartenante audit seigneur vicomte, sans que cependant ledit terrein, quoiqu’il ne contiendroit pas la quantité ici exprimée ou environ, puisse être agrandi ou étendu au delà de la désignation en faite selon la dite carte ou figure, joignant le même terrein au chemin de Tubise à Braine-le-château, à une terre de apartenante à Mr Caïmo, occupée par Pierre Jacob, son fermier, à la prairie d’où ledit terrein est tiré et aux étables et écuries du moulin,
Bail commence le premier de 9bre 1781 et qui sera expiré le dernier l’octobre de l’année 1801, sans qu’il soit question d’aucun renom préalable à cet effet, renonçant l’acceptant à toute reconduction tacite dont il voudroit ou pouroit se prévaloir par la suite, soit lui ou ses représentans, lequel bail se fait aux clauses et conditions suivantes.
Savoir que le Sr acceptant devra en rendre et payer de rendage annuel le premier de 9bre de chaque année la somme de deux cens florins argent courant de Brabant franche et libre de toutes tailles, du Xe, XXe, plus haut ou moindre denier, et de toute autre imposition quelconque mise ou à imposer par le Souverain du pays, des Etats ou Puissance étrangère, non obstant tous édits, placards, statuts, règlemens, ou ordonnances portant clause contraire auxquels le Sr acceptant renonce et déroge bien expressement et volontairement par cette, ladite somme payable en mains et au domicile du receveur du seigneur vicomte.
Le Sr acceptant s’oblige de faire ériger sur ledit terrein un batiment avec un moulin à battre le fer, pour l’usage duquel il poura se servir de l’eau qui descend de la rivière, respectivement audit terrein en deça des deux roues ou tournans du prédit moulin, endroit où il se trouve actuellement un ???? qui devra être ôté de cet endroit et placé ailleurs aux fraix de l’acceptant, usage de la dite eau qui se trouve compris dans le présent loyer, dont il fait la partie principale et essentielle.
Que la roue qui servira à faire tourner ledit moulin à battre le fer devra être placée, toujours respectivement audit terrein, en deça desdites deux roues du moulin apartenant audit seigneur comparant à quel effet il se trouve un emplacement que le Sr acceptant devra combler de pierres à la hauteur convenable pour donner l’aisance ou moyen de tourner la roue de son moulin à battre le fer.
Comme il poura placer ledit tournant où l’asseoir sur des murailles de pierres actuellement existantes, sans cependant donner le moindre obstacle aux roues du prédit moulin à l’eau, il devra entretenir et réparer à ses fraix lesdites murailles du côtée ou des côtés où la roue de sondit moulin à battre le fer sera posée, ou entre lesquels elle sera placées.
Que ledit Sr acceptant poura faire du côté des étables et écuries du prédit moulin à l’eau qui n’apartiennent pas au seigneur comparant reposer la charpente de son moulin à battre le fer sur des bois suffisans à cet effet, et sera tenu et obligé à la réparation et aux entretiens des murailles desdites écuries et étables du côté de son moulin à battre le fer, sans qu’il puisse le détériorer ou y nuire en façon quelconque, soirt en posant du fer à l’encontre, soir de telle autre façon que ce puisse être.
Que les arbres qui devront être abbattus sur ledit terrain resteront au profit du seigneur comparant.
Tout ce qui concerne ce qu’on nomme vulgairement les ventailleries dudit moulin à battre le fer et toutes autres choses quelconques qui y serviront de telle façon que ce soit devront être entretenues en bon état par le Sr acceptant et être faites à neuf lorsqu’il sera nécessaire à ses fraix.
Ledit Sr acceptant sera obligé de planter une haye vive de séparation à l’endroit désigné en la carte figurative ici jointe pour diviser ou séparer son terrein du reste de la prairie d’où il est tiré à la saison convenable de cette année et la relivrer croissante à l’expiration de deux ans.
Pour assurance du payement annuel desdits rendages de deux cens florins le Sr acceptant outre les batimens dudit moulin à battre le fer et tout ce qui y apartiendra ou servira, qu’il oblige spécialement à cet effet, sera tenu de donner encore bonne et suffisante caution à l’appaisement du seigneur comparant.
S’il survenoit quelque difficulté par rapport à l’érection de sondit moulin ou par raport au même moulin, de telle nature que ce put être, de la part de qui que ce put, le Sr acceptant devra les soutenir à ses fraix, sans que le seigneur comparant soit tenu à aucune garantie, ni a aucun fraix à cet égard.
ne poura louer sondit moulin au cas qu’il ne voulut point en faire usage pour son propre, ni faire cession ou transport d’icelui ou de son droit, ni surroger personne dans ses lieu, place et degré ou tout autrement, soit par testament, donation, autre acte ou contrat quelconque sans le consentement par écrit du seigneur comparant.
S’il arrivoit qu’il ayent point une quantité d’eau suffisante pour faire tourner et moudre tant les deux tournans du moulin à moudre grain du seigneur comparant que celui à battre le fer du Sr acceptant, en ce cas sondit moulin à battre le fer devra cesser de tourner pour donner ou laisser aux deux tournans du moulin du seigneur comparant la quantité d’eau nécessaire pour en faire tourner les deux roues, et y moudre avec aisance.
Et attendu que le petit pont qui donne l’aisance au meunier dudit seigneur pour aller auxdits tournans de son moulin ??? ou sera touché par le batiment dudit Sr acceptant, il devra procurer ou donner une autre aisance audit meunier et à sondit apaisement pour aller auxdits deux tournans pour tout ce qui sera nécessaire, et cela à ses fraix.
Ledit Sr acceptant devra nettoyer à ses fraix la fausse eau et entretenir et réparer les digues à fraix communs et par égale portion avec le meunier.
S’il arrivoit que le feu prit au batiment du moulin à battre le fer du Sr acceptant, soit aux écuries ou étables du meunier, soit de cette façon, soit par ses fournaux, cheminées ou tout autrement, de telle manière que ce puisse être, dans ce cas le Sr acceptant sera tenu et obligé à payer tous fraix, dommages et intérêts qui resulteroient de semblable accident.
Le censier du seigneur comparant aura toujours son libre passage au travers du terrein du Sr acceptant pour aller à la prairie sans aucun désintéressement, soit avec chariots, chevaux, ou autres bestiaux.
Le Sr acceptant, à l’expiration du présent bail, devra remettre à ses fraix le terrein lui loué, nud et dans le même état qu’il étoit avant son bail.
Il poura même renoncer au présent bail de trois ans en trois ans parmi l’avertissant juridiquement six mois auparavant et remettant le terrein ainsi qu’il est exprimé à l’article précédent.
Pour assurance du premis nommement le payement des rendages, des cautionnemens à fournir, et de tout ce qui est à charge du locataire, il oblige sa personne et biens, se soumettant à la condamnation volontaire décretable au Conseil Souverain de Brabant pardevant échevins de Glabecq et tout ailleurs ou bon semblera lesquels effet tout porteur de ce bail ou de sa copie authentique est irrévocablemenent commis et constituer.
Les fraix de ce dit bail et d’une copie authentique a en délivrer au seigneur metteur à charge de l’acceptant.
Et ainsi fait et passé au moulin de Glabecq en présence de Pierre Joseph Simonet et d’Adrien Joseph Brusselmans témoins à ???.
[Signé : ] Le vicomte de Flodorp
MP Van Esschen
Adrien Joseph Brussemans
Pierre Joseph Simonet
D. Carlier.
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Sources :
- Archives Générales du Royaume, Notariat général du Brabant, n° 20178.
- Jean-Louis VAN BELLE, Le 8 novembre 1781 naissaient les Forges de Clabecq, Tubize, 1982.
- Madeleine JACQUEMIN, Les sociétés des Forges de Clabecq, dans Annales du Cercle d’Histoire Enghien-Brabant, t. 4, 2003, pp. 133-172.
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Luc DELPORTE, La fondation des Forges de Clabecq en 1781, extrait du site www.museedelaporte.be (consulté à la date du …).
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