Vincent Duseigne parcourt les entrailles de la terre depuis des années. A notre demande, il a réalisé ce formidable reportage sur le réseau hydraulique des Forges pour mieux comprendre comment la Sennette a modelé l’histoire des Forges et inversement puisque la rivière a souvent été contrainte de suivre les évolutions radicales de l’usine. Bienvenue sous Clabecq!

 

 

La Sennette, rivière des Forges

La Sennette est une rivière qui au tout départ de l’histoire des Forges, a fortement marqué la structure de l’usine. Elle actionnait un moulin à battre le fer qui est à l’origine de la fondation des Forges. La construction remonte au 8 novembre 1781, on la doit à un entrepreneur bruxellois : Marc-Pierre Van Esschen. La rivière était alors à l’air libre et utilisée pour sa force motrice.

Par la suite, c’est la structure profonde de la rivière qui a été modifiée. Déviée, rendue linéaire, couverte, elle a disparu du paysage pour servir au fonctionnement des Forges.

Nous allons découvrir peu à peu en quoi les Forges ne pouvaient pas vivre sans la Sennette et parcourir les derniers vestiges de ces installations souterraines.

 

Les entrailles de la terre

La Sennette est un cours d’eau de Belgique, affluent de la Senne. Cette rivière prend sa source à Familleureux, passe à Écaussinnes, Ronquières, Virginal, Oisquercq, Clabecq. Elle se jette dans la Senne en aval du croisement du chemin de fer Bruxelles-Mons et Bruxelles-Clabecq. Elle fait la limite entre Clabecq et Tubize sur une longueur de 3500 mètres. Elle entre sur le territoire de Clabecq lorsqu’elle passe sous la voie ferrée, à l’endroit où se trouvait la ferme Ballant, démolie en 1919 lors de l’agrandissement des Forges.

La Sennette a toujours constitué une frontière. La rivière délimitait déjà le territoire des Nerviens de celui des Eburons au premier siècle avant Jésus Christ. Autrefois, la Sennette était grossie à Clabecq des eaux du Hain, mais ce dernier se jette maintenant dans le canal à la hauteur du haut-fourneau n°6, suite au détournement de la Sennette lors du creusement de la tranchée du canal. Elle reçoit par contre les eaux du ry de Vraimont, puis les eaux du ry Saint-Jean.

La Sennette a été placée dans un double-pertuis depuis Oisquercq et n’en sort qu’après le barrage situé près de l’ancien bureau des Forges. Très récemment (2010), une prolongation du pertuis souterrain a été construite jusqu’à la gare de Clabecq.

Caractérisation souterraine de la rivière

Il y a 2 souterrains, un entre Clabecq et Oisquercq (3500m), un second entre Oisquercq et Virginal (2000m). Nous n’aborderons pas le second étant donné que ça ne concerne pas les Forges mais uniquement la construction de l’écluse d’Ittre et son bassin.

Du côté Clabecq, sortie nord :

C’est un double pertuis, avec une structure en béton à pieux emboués. Les pertuis sont difficiles à visiter, il y a un niveau d’eau élevé, de la vase, des branchages qui obstruent. Au bout de 200 mètres, on ne peut aller plus loin, sauf mise en œuvre d’un bateau. La cause probable est l’obstruction du pertuis par des branchages enchevêtrés ; le niveau d’eau – déjà haut – est fortement augmenté.

Pertuis gauche, côté canal : en partant de l’aval, il est complètement ensablé au bout de 200 mètres. Cela signifie qu’il n’y a plus qu’un seul pertuis qui fonctionne. Dans ce pertuis gauche, on trouve une présence de H2S à cause des eaux stagnantes. Il est impossible à visiter à cause du gaz, nous avons renoncé. L’ensablement est impossible à grimper, c’est une patinoire.

 

Pertuis droit : on y trouve la présence d’une ancienne installation des forges, sous forme d’une porte métallique. Suite à consultation des plans, il ne s’agit pas d’une prise d’eau comme nous le supposions. Il s’agit d’une vanne de rejet des eaux du laminoir. Les eaux étaient pompées dans le canal par le biais des turbines de filtration. Le tuyau de pompage des eaux de refroidissement du laminoir passe (encore probablement) sous la Sennette. Seul le rejet des eaux se faisait dans la Sennette, avec pour unique système de refroidissement un passage à ciel ouvert dans l’usine. Le plan mentionne « rejet laminoir » et « rejet HFx ». Il y a donc deux vannes, nous n’en avons vu qu’une puisque nous avons été stoppés. Côté pompage, il y a une, voire deux (?) installations de turbines à filtration.

D’après Cédric De Keyser, sur les indications de monsieur Brohée : on puisait dans la Sennette pour la granulation du laitier et le lavage des gaz de haut-fourneau. L’eau de lavage était rejetée dans la rivière mais était préalablement décantée dans une station d’épuration (bassin Dorr Oliver). On puisait dans le canal pour le refroidissement des hauts-fourneaux. Le château d’eau en briques stockait l’eau de la Sennette. Le château d’eau en béton (500 m³) stockait l’eau du canal. Avant 1966, on n’utilisait pas encore des bassins à lits filtrants, donc pas de décantation. L’eau encore chargée de laitier était rejetée dans la rivière. Dès que les bassins à lits filtrants ont été utilisés, l’eau rejetée à la rivière était sensée être pure.

 

Idée reçue, la Sennette passe en voûte mouillante ? Nous l’avions longuement supposé, nous pensions que c’était dû au pompage d’eau de refroidissement dans la Sennette. Faux ! Les installations de turbines de filtration sont dans un ou deux bassins, autonomes de la Sennette. Ces bassins communiquent avec le canal. Pourquoi cette particularité ? Nous supposons que les Forges pompaient 12 à 15.000 m³ par heure. La Sennette seule était insuffisante. Son débit habituel avoisine les 1500 m³ heure. On séparait donc les sources, la Sennette pour la granulation, le canal pour les HFx. D’après Cédric De Keyser : L’eau de refroidissement n’a été filtrée qu’à partir des années 60. Avant, tout et n’importe quoi risquait de se retrouver dans le circuit. C’est comme ça qu’ils ont une fois failli perdre un haut-fourneau à cause d’une anguille…

 

Du côté Oisquercq, entrée sud :

On retrouve naturellement la même structure qu’à Clabecq. C’est un double pertuis très long, avec un fort courant. La longueur développée jusqu’à Clabecq est de 3500m. Le paysage est très-très monotone.

Le pertuis droit (pour garder le même côté que celui de l’entrée Clabecq, ou plus simple, pertuis côté canal) possède des eaux stagnantes. Le courant n’arrive pas à s’y engouffrer et il y a du reflux, à cause de l’ensablement plus loin. On note la présence de vases et des fortes doses de H2S.

Le pertuis de gauche est une très longue galerie monotone ne possédant que bien peu de points d’intérêt.

Les rejets du Ry St-Jean et du Ry de Vraimont sont des busages, rejetant une eau très limpide.

Conclusion

Des installations des forges dans le cours de la Sennette, il ne reste que très peu d’éléments tangibles. Le rejet des eaux du laminoir est encore visible, c’est un faible vestige mais c’est déjà ça. Par contre, on notera avec intérêt que c’est finalement toute la rivière qui est un témoignage de passé industriel, puisque le cours d’eau a été dévié, couvert, utilisé durant des années. Une promenade en photo sera bien plus éloquente sur le sujet, ce à quoi nous vous invitons.